Jacques "l'Assyrien"

L'ordo diocésain place saint Jacques dit « l'Assyrien » ou « de Tarentaise » en tête de la liste des évêques et archevêques de Tarentaise. Jacques est un personnage dont l'épiscopat tarin est situé dans les années 420 - 430. Ce que l'on sait de lui est renfermé dans sa « Vita » dont une version a été placée par les bollandistes dans les Acta Sanctorum. On sait la formule abrupte de Lenain de Tillemont : « Bollandus nous en donne une vie imparfaite, qu'on peut dire ne rien valoir du tout ». La messe est dite ; et pourtant ...

La biographie de Jacques avant son arrivée en Tarentaise est pour le moins sommaire : il est Assyrien, son métier était les armes. Après sa rencontre avec Honorât, Jacques fait partie de cette première communauté qui va s'installer sur l'île de Lérins. C'est de là qu'il est envoyé en Tarentaise au moment où Honorât devient le métropolitain d'Arles. Reconnaissons qu'il y a une cohérence dans cette histoire :

Lérins a bien été dans les premières décennies de son existence une « pépinière épiscopale ». Darantasia - la future Moûtiers - était une étape sur une voie essentielle, la voie Milan-Vienne passant « in alpis graia ». 11 est donc plausible qu'en ce début du 5cme siècle, les passages des soldats, marchands et autres voyageurs de l'Empire, aient pu y implanter la foi chrétienne et qu'une communauté chrétienne y étant née, on ait souhaité qu'un diocèse s'implante dans la cité. On est donc dans le schéma très traditionnel : une cité - Darantasia, la cité des Alpes Graies et Pennines - devient un diocèse avec l'arrivée d'un évêque.

Cet évêque, en ce début du 5eme siècle, vient d'une abbaye (Lérins) car, après 313, la diminution du nombre des martyrs va mettre en avant la figure monacale comme paradigme de la vie chrétienne. Un élément important dans cette cohérence, c'est la crise qui reçoit une première résolution par une lettre du pape saint Léon datée du 5 mai 450. Ce qui est en jeu c'est l'organisation des diocèses du sud-est de la Gaule. Deux grandes cités sont en concurrence : Arles et Vienne. Y a-t-il un unique métropolitain ? S'il y en a deux, comment faut-il organiser les deux provinces ecclésiastiques ? Saint Léon va trancher en donnant au métropolitain de Vienne, comme suffragantes, les cités de Genève, Grenoble, Valence et Tarentaise. Le différend, occasionné par la naissance de nouveaux diocèses, porte en particulier sur Darantasia, géographiquement plus proche de Vienne, mais fille d'Arles. Ce différend vient donc corroborer cette origine arlésienne et donc tout cela montre que notre personnage de Jacques a peut-être plus de consistance que ne le pensait Lenain de Tillemont.

Il restait pourtant un « chaînon manquant » : que voulait dire cette origine assyrienne ?

Sur nos modernes cartes où faut-il placer la naissance de Jacques. Lorsque l'on transpose l'empire assyrien sur nos cartes il y a une pluralité de réponses possibles : Iran, Irak, Syrie, voire Turquie. La belle rencontre a été celle de Joseph Yacoub. Ce professeur émérite de la Catho de Lyon, est un politologue et historien, spécialisé dans la connaissance du monde assyro-chaldéen syriaque. Ayant appris l'existence de ce premier évêque de Tarentaise, dit « l'Assyrien », sa curiosité l'a poussé jusqu'à nous. II a lu la quasi-totalité de ce qui avait été écrit sur Jacques. Il a parcouru, avec son épouse, églises et chapelles pour tout voir : tableaux, sculptures et vitraux dédiés au saint. Il éprouvait un grand bonheur à découvrir, en chaque page et au bas de chaque œuvre, le terme « assyrien ». Ce qui était mystère pour nous, semblait ravissement pour lui.

 

Joseph yacoub

 

Joseph Yacoub

 

Après quelques mois, il nous a fait part de sa réflexion qui va donner une plus grande consistance encore au personnage. On peut résumer à grands traits en signalant d'abord que l'époque (5eme siècle) aurait dû inciter à accoler l'épithète « perse » au nom de Jacques. L'empire d'Assyrie était tombé depuis longtemps. Faut-il en conclure à un anachronisme du chroniqueur médiéval, ou bien, cela traduit-il quelque chose de plus profond ? C'est l'opinion de Yacoub : se dire « assyrien » à la fin du 4eme siècle, c'était à la fois une appartenance et une résistance. Jacques était probablement originaire de la région d'Adiabène, une région qui, autour de la cité d'Arbèle, constituait une antique Église en proie aux persécutions des Perses. Pour justement se démarquer de l'occupant perse, c'est l'identité « assyrienne » qui était affirmée. Outre de nous fournir une indication géographique dans le monde contemporain puisque Arbèle et la province de l'Adiabène sont en Irak, la réflexion de Yacoub permet d'imaginer un scénario plausible. Appartenant à l'élite de sa région (« son métier était les armes »), Jacques a été contraint de fuir lors des grandes persécutions contre les chrétiens, son rang social lui donnant les moyens de le faire. Saint Augustin lui-même, dans La Cité de Dieu, fait écho à ces persécutions et migrations contraintes : « Et naguère en Perse, ne s'est-il pas élevé une persécution (qui sévit peut-être encore), si violente que plusieurs vinrent chercher un asile dans les cités romaines. »

Peut-on risquer une hypothèse de plus ? Oui, car nous sommes dans une histoire bien documentée, celle de l'accueil des chrétiens fuyant la Perse et trouvant refuge dans la plus proche cité de l'Empire : Nicomédie, capitale de la province romaine de Bithynie. Et, à ce carrefour, entre l'Orient et l'Occident, il n'est pas incongru d'imaginer la rencontre entre Jacques et Honorât terminant son pèlerinage auprès des moines d'Orient.

Il était soldat, il deviendra moine, puis évêque. Il avait dû fuir, il sera fondateur. N'en déplaise aux partisans d'un monde « bien de chez-nous », l'Église de Tarentaise, via Lérins et Arles, est fille d'une vénérable Église Irakienne ; et comme tout naît toujours d'une rencontre, celle-ci s'est probablement déroulée dans l'actuelle Turquie.

Date de dernière mise à jour : 09/01/2024