Des scouts et une fanfare

Alors qu’il résidait à Moûtiers et qu’il était principalement le secrétaire des évêques Termier, puis Terrier, l’abbé Georges Muyard s’est grandement investi dans le scoutisme.

Le scoutisme en Tarentaise, à la fin des années 1930, début des années 1940, est placé sous la responsabilité d’un aumônier diocésain qui est l’abbé Fernand Boch, professeur à Saint Paul qui deviendra une figure importante de la Résistance (capitaine au sein du Bataillon AS de Tarentaise, mort de ses blessures en août 1944). On confie à Georges Muyard la responsabilité des scouts de Moûtiers, la troupe « Saint Louis » dont il est l’aumônier. Mais plus encore, dans ce monde du scoutisme moûtiérain, l’une des initiatives importantes de l’abbé Georges Muyard fut la création des Guides de France.

 

Scouts moutiers 1933

 

Les scouts de Moûtiers en 1933 - En haut de gauche à droite : Régis Busillet, Charles Barelle, Joseph Raffort, Régis Allemoz, André Miraudin et Sylvain Jaccond. Au deuxième rang : Raymond Monterin, Camille Perret, Pierre Appolonia, Serge Mazzega, Louis Château, Eugène Favre, Gabriel Charpin, Georges Couvert, ... Jarre et Fernand Merzario. Assis : Lucien Romet, André Perret, Henri-Louis Resler, Marcel Anselmetti, Roger Sambuis et René Dupoix.

  Le Bulletin Religieux du diocèse de Tarentaise n° 632 du 1er janvier 1941 nous fait part du premier camp récollection et des premières promesses, le 24 novembre 1940.


« Le dimanche 24 novembre, la Compagnie naissante des Guides de France de Moûtiers tenait, à la Maison de Jeunesse de Bellecombe, son premier camp récollection. Trois cheftaines de louveteaux, parmi lesquelles Mlle la Commissaire de Province, étaient venues se joindre aux huit aspirantes guides. Le programme était des plus séduisants. D'abord, une étude historique sur Notre-Dame de la Vie, patronne de la Compagnie, puis des cercles d'étude : Scoutisme et discipline, scoutisme et enthousiasme. Le tout entrecoupé de chants et de jeux, comme il sied à des Scouts.
Le samedi soir, après une veillée d'armes dans la chapelle de la maison, deux aspirantes ont fait leur promesse en présence de Mgr l'Évêque et de Mlle Sevez, cheftaine des Guides de Chambéry. Il y eut des larmes dans bien des yeux, d'abord quand les candidates vinrent, à genoux, recevoir la bénédiction de leurs parents, puis quand, d'une voix ferme mais qu'on sentait pleine d'émotion, elles prononcèrent la formule de la promesse : « Sur mon honneur, et avec la grâce de Dieu, je m'engage à servir de mon mieux Dieu, l'Église et la Patrie, — à aider mon prochain en toute circonstance, — à observer la loi des Guides. » « Désormais, répond leur cheftaine, vous faites partie de la grande fraternité scoute ! » Le guidisme est né en Tarentaise. D'autres promesses auront lieu autour de Noël. L'Esprit souffle... Puissions-nous assister bientôt à la formation de nouvelles compagnies, pépinières de « guides vraies filles de France, fières de leur foi, toujours prêtes à servir ».


Un tel idéal : « servir de mon mieux Dieu, l’Eglise et la Patrie », n’a pas, ipso facto, conduit celles qui le partageaient à s’engager dans la Résistance. Au niveau national, l'étude du mouvement pendant l'Occupation et la période de Vichy est particulièrement intéressante. Elle montre les convergences entre le projet de la Révolution nationale et le discours des autorités catholiques que l'on retrouve dans les consignes du mouvement des Guides en 1940-41, mais on voit aussi se dessiner très vite le souci d'autonomie face à la volonté de Vichy d'unifier des mouvements de jeunesse. Pour un certain nombre de Guides, c'est alors la prise de distance à l'égard du régime, voire l'entrée en résistance, y compris parmi les cadres du mouvement. C’est ce que montre bien l’exemple moûtiérain avec cet engagement de Monique Resler.


La suite de cette histoire a été racontée par Marcel Martin.
« Eh bien voilà comment ça a commencé — avec quelques copains, on était pas bien contents des occupants et de Vichy — mais on ne savait pas que faire. Alors après le coup de la gerbe au Monument en 1942, la fille du Dr Resler m'a parlé et m'a dit : tu devrais voir l'abbé Muyard — il sait qui il faut voir — j'ai donc vu Muyard qui m'a fait rencontrer le gars d'Albertville, tu sais celui qu'a été sous-préfet, Gaudin. C’est ça, oui. Et puis un autre un « blond » — j'ai jamais su qui c'était. Et c'est de là que c'est parti — alors il m'a dit de trouver quelqu'un pour mener la barque. Et j'ai commencé par présenter Larcher, mais pas celui dont la femme boitait, l'autre qui était lieutenant de réserve quoi ! Il n'a pas voulu accepter. Après j'ai été voir « Machin », celui qui était chez la mère Guillet, qui était aux Eaux et Forêts, un grand ; il était capitaine dans les chasseurs, dans les bataillons de Montagne. Mollaret c'est ça. Alors, lui. Il m'a envoyé... paître... carrément. Mais nous, avec Marcel Alessio, on avait déjà formé notre Sizaine, et lui il jouait de la musique avec Lungo. Et je pense qu'ils avaient dû en causer déjà, car il m'a dit : il prendrait sûrement la place — et j'ai répondu « Bon, dis-lui au moins d'accepter. » Alors c'est de là que c'est venu, et donc Louis Lungo, il a. accepté et c'est parti. En 1942 après le coup de la gerbe».


On voit bien comment Georges Muyard fut l’initiateur et « la plaque tournante », envoyant Monique Resler auprès de Marcel Martin, puis envoyant celui-ci auprès de Gaudin. On voit aussi comment, partant de Marcel Martin, on a une « filière musicale » qui, par l’intermédiaire de Marcel Alessio, s’épanouit au sein de la fanfare « Les Tarins », phalange musicale moûtiéraine. C’est l’occasion de dire que cette société a payé un lourd tribu à la Seconde Guerre mondiale : Marcel Alessio, Paul Anselmet, Paul Danis, Louis Duboin, Camille Girod-Roux, André Pezeux et Jean Rosso, tous jeunes musiciens, allaient donner leur vie pour la France. Sachant que d’autres encore furent très engagés : Claude Duboin, Hector et René Rosso, Jean Alessio, François Francesconi … et bien sûr Louis Lungo.

 

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La fanfare "Les Tarins" de Moûtiers


Donc on a une chaîne : Georges Muyard, Monique Resler, Marcel Martin, Marcel Alessio, Louis Lungo. Nous sommes après le 11 novembre 1942.
Ce récit est vrai. Il n’est pas contestable, on pourrait d’ailleurs le corroborer par le récit d’autres acteurs locaux (témoignages de Joseph Bardassier ou de Raymond Martinet).

Mais on ne peut donc pas ignorer l'autre récit, celui de Raymond Bertrand ( Tarentaise 1940 – 1945, De Feissons au Saint Bernard p. 58 – 60) qui met en avant un autre scénario : Raymond Bertrand, responsable albertvillois, par l’intermédiaire de l’abbé Fernand Boch, entre en contact avec l’abbé Georges Muyard, qui encourage Louis Lungo à se joindre au mouvement Libération. Nous sommes en 1941. Donc, fin 1942, les acteurs moûtiérains contactent Lungo, sans savoir nécessairement que celui-ci est déjà impliqué et sans que celui-ci ne puisse révéler les premiers contacts.

On voit donc bien comment deux récits peuvent être non concordants sans qu’aucun ne soit faux. Cela veut simplement dire que des groupes humains, qui s’ignoraient, ont eu la même idée : donner à Louis Lungo un rôle de meneur. Et lorsque chacun raconte, chacun peut penser – légitimement – avoir joué un rôle déterminant. 

Date de dernière mise à jour : 23/12/2023