Des noms de ceux qui dirent non

Pour s'en tenir à Moûtiers qui furent les premiers à dire "non", à l'instar de la Constitution "montagnarde" qui dit que : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » ?

 

Le premier résistant moûtiérain est Jean-François Labaume, né à Moûtiers en 1918, qui sera engagé F.F.L (Forces Françaises Libres) dès le 1er juillet 1940 (12 jours après l’Appel), qui servira dans l’État-Major particulier de De Gaulle, avant d’intégrer le 3ème Régiment Étranger d’Infanterie.

Dans les premiers résistants moûtierains, il faut aussi citer Joseph Gastaldo, né à Moûtiers en 1899, qui rejoint le mouvement Combat de son ami Henry Frenay avant d’être, fin 1942, chef du 2ème bureau de l'état-major de l'Armée secrète.

L’un comme l’autre ont joué un rôle important, mais ne peuvent être rattachés à la Résistance locale.

 

Labaume et gastaldo

 

En Tarentaise, c’est du côté de Georges Muyard qu’il faut regarder, à plusieurs titres. Prisonnier de guerre durant la Campagne de France, il s’évade et il est présent en Tarentaise dès le mois de septembre 1940, au moins. Il semble bien qu’il intègre un réseau de l’Intelligence Service dès l’automne 1940 (agents de renseignement travaillant directement avec Londres), il rejoint aussi rapidement Libération-Sud.

En zone dite « libre » (sud de la Loire) vont se créer essentiellement trois grands mouvements de Résistance dite « intérieure » :

- « Combat » fondé par Henry Frenay, de tendance démocrate-chrétienne,

- « Franc-Tireur » fondé par Jean-Pierre Lévy, un mouvement de gauche,

- « Libération-Sud » fondé par Emmanuel d'Astier de La Vigerie, un mouvement lui aussi plutôt de gauche.

Chacun de ces mouvements va faire paraître, avec des moyens de fortune et d’une manière clandestine, un journal éponyme.

C’est Libération-Sud qui va s’implanter le plus fortement dans la région albertvilloise et en Tarentaise. Le personnage central est Joseph Gaudin, né en 1890 et négociant en vins à Albertville, alias « Belloc ». Politiquement, il est marqué à gauche et, philosophiquement, franc-maçon. Officiellement, il intègre la Résistance intérieure française (RIF) du 1er janvier 1941 au 31 décembre 1942, sachant que la date de départ est une date administrative – si l’on dit 1er janvier 1941, cela signifie plutôt automne 1940. Il intègrera ensuite l’Etat-major Départemental des MUR/Armée secrète (AS) de Savoie jusqu'au 20 septembre 1944. Il sera plus particulièrement le chef du secteur III (Albertville - Beaufortain). Après la Libération, il devient Sous-Préfet de l'arrondissement d'Albertville et membre du Comité départemental de Libération (CDL) de Savoie.

Gaudin a un adjoint qui est Raymond Bertrand, photographe à Albertville, dont la boutique va devenir un lieu de rendez-vous important. Bertrand sera plus spécialement chargé de l’intendance – chaque secteur AS devait avoir, en théorie, un chef civil, un intendant et un chef militaire.

Le 3ème homme du Secteur III c’est Jean Bulle, alias « Jean Dubois - Devèze – Baffert ». Militaire de carrière, c’est lui qui sera donc le chef militaire du secteur, actif en particulier dans le Beaufortain (nomination à la date du 1er août 1943).

Comment passe-t-on d’Albertville à la Tarentaise ?

Il y a d’abord un travail fait en interne par Muyard. Muyard a des liens forts dans le scoutisme. L’aumônier diocésain des scouts est l’abbé Fernand Boch, professeur de sciences au Petit-Séminaire Saint-Paul. Boch connaît Bulle, chrétien engagé qui vient parfois se ressourcer à Saint-Paul. Boch connaît Bertrand car il lui confie souvent des travaux de tirages photographiques. Boch connaît Muyard qui est l’abbé aumônier des scouts de Moûtiers. On voit que l’idée de réseau est souvent préexistante à la formation du réseau résistant.

Au point actuel des recherches, il semble y avoir un lien direct entre Muyard et la sizaine moûtiéraine de Marcel Martin « Diodio ». Le terme de sizaine est hérité du scoutisme où chaque meute est composée de plusieurs sizaines. Dans l’embryon de mise en place de la Résistance intérieure, on commence par créer une sizaine (le chiffre de six étant à relativiser). Lorsqu’il y a 5 sizaines, elles sont réunies en une Trentaine. Seuls les chefs de chaque sizaine connaissent le chef de la trentaine qui, seul, assure le lien avec l’échelon supérieur.

Donc Muyard a mis en place une structure clandestine dans laquelle se retrouvent Marcel Martin, Paul Roude qui a joué un rôle important dans cette diffusion de Libération-Sud en Tarentaise, il y a les deux frères Alessio, Jean et Marcel, il y a Arsène Charrière et Raymond Martinet. L’un des rares cas où l’on rencontre une sizaine dans laquelle ils sont six ! Là encore, il y a des réseaux qui préexistent à l'image de Martin et des Alessio qui furent les premiers à atteindre le chalet du Mont-Jovet à moto.

 

Martin et les alessio

De gauche à droite : Marcel Martin, Marcel Alessio et Jean Alessio lors de la première montée à moto jusqu'au refuge du Mont-Jovet. Le Corps Franc s'est d'abord constitué avec des amitiés et des passions partagées et bien sûr des valeurs et des convictions. Photo appartenant à © la famille Alessio ; merci pour le prêt.

Pendant ce temps, d’autres échangent dans la cave Dullin : il y a souvent Gabriel Dullin, Gustave Machet, Pierre Maggi, Jean Reymond qui sera le premier chef du Corps-Franc, les frères Bardassier, Joseph et Pierre. Très vite ils seront rejoints par Louis Sibut et Maurice Laurent. Gabriel Dullin est négociant en vins, Joseph Gaudin est négociant en vins. Le monde est petit … on peut y voir un lien supplémentaire pour que Libération-Sud ait pu trouver une audience plus large. Mais d’autres rencontres avec la présence à Moûtiers de Gaudin et Bertrand se sont faites au garage de la Vanoise du Faubourg-de-la-Madeleine, c’est-à-dire le garage de Joseph Bardassier, dont la famille a tenu un bar à Notre-Dame de Briançon où Gaudin venait livrer.

Et puis il y aura un moment où Joseph Guillet va devenir un personnage incontournable ; le bar-restaurant tenu par sa femme à l’extrémité du Pain de Mai va devenir un lieu important pour les rencontres clandestines, le bar étant une boîte-aux-lettres de la Résistance. Guillet, qui deviendra capitaine à la tête de la Compagnie de Moûtiers du Bataillon de Tarentaise (6ème Bataillon AS au départ), mais sera aussi, avec Louis Sibut, Joseph Bardassier et Marcel Bonomi, à l’intendance du secteur devant, entre autres, organiser, dès 1942, les maquis pour les réfractaires au S.T.O.

On la connaît mal, mais il y eu aussi une sizaine qui s’est organisée autour de Bernard Resler, alias « Bouboule », sizaine regroupant de plus jeunes résistants.

Et puis (le terme n’indiquant pas nécessairement une chronologie), il y eut Louis Lungo, comptable et agent d’assurance, qui va devenir le chef charismatique, créant le Secteur III bis à l’été 1943. Un secteur qui présentera une particularité jusqu’à l’arrivée d’André Tournon au début juin 44, le chef civil et le chef militaire ont été réunis en la personne de Lungo.

Simplement pour en rester à ceux qui furent implantés sur Moûtiers, il faudrait encore citer Pierre Mollaret, Ingénieur O.N.F et capitaine A.S, Jean Suraud, Avoué et lieutenant A.S, etc.

On nous sortira toujours, pour ceux que nous venons de citer, des attestations d’appartenance qui vont porter la date de 1943, ce qui est normal pour un document administratif car les Mouvements Unis de Résistance (M.U.R) datent de 1943 (26 janvier) et il fallait que la structure des M.U.R existe pour que l’Armée Secrète ait une existence officielle. Mais, rendons-leurs ce qui est dû : pour tous ceux que nous avons cités, en 1941 au moins, ils étaient à leur poste.

Cette armée serait très incomplète si l’on s’en tenait à ces quelques noms : n’oublions pas que le Bataillon de Tarentaise aura sa belle Compagnie de Briançon-Aigueblanche, celle de Bozel, celle d’Aime et enfin celle de Bourg-Saint-Maurice dans laquelle Charles Orset jouera un rôle essentiel. Et cette armée serait encore bancale si l’on ne disait pas aussi qu’il y eut les FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français), créés fin 1941 puisqu’il fallut attendre la rupture du Pacte Germano-Soviétique le 22 juin 1941.

Et là où c’est très bancal : nous n’avons cité que des hommes ! Alors rendons aussi hommage à Blanche Lungo, Mme Guillet, « Poulette » Bardassier, Violette Cote, Mme Vilna, Zézette Chedal, Sœur Jeanne d’Arc, Mme Reymond. Et si tous les hommes cités ont pu s’engager, c’est parce qu’une femme a tenu la maison, la famille, parfois l’entreprise.

Date de dernière mise à jour : 23/12/2023