D'incertains débuts à certains débuts

Un texte écrit en mai 2022 qui peut servir de problématique et à partir duquel nous accrocherons quelques pages de commentaires.

Lorsque l’on fait de l’histoire, plus l’on avance, plus ça se complique et on a l’impression d’en savoir de moins en moins ! C’est le lot de toutes les sciences.

Alors, à la veille de la Journée Nationale de la Résistance (fixée au 27 mai en référence à la première réunion du Conseil national de la Résistance (CNR) le 27 mai 1943) où en est-on dans la connaissance de la Résistance en Tarentaise ?

Tenons-nous à une question, passionnante, celle des débuts en Tarentaise, à Moûtiers en particulier.

Il y a quelques années à peine, on mettait en exergue le dépôt d’une gerbe au Monument aux Morts de Moûtiers, le 11 novembre 1942. On déroulait alors un scénario cohérent et relativement efficace : le dépôt de la gerbe fait prendre conscience à Muyard que le temps est venu et l’on déroule une chaîne qui part de Muyard, passe par Monique Resler, Marcel Martin, les frères Alessio pour aboutir à Lungo. Mettre en avant le 11 novembre 1942 était d’autant plus logique que c’est durant la nuit du 10 au 11 novembre, qu’il y a la blessure mortelle d’Auguste Tornier, à Aigueblanche, obligeant une réorganisation des futurs FTP (en zone Sud, le mouvement ne naîtra officiellement qu’après novembre 1942). Cette réorganisation allait mettre au premier plan Edmond Rochaix, « capitaine Sapin ». Donc, en 24 heures, on avait des événements qui, de proches en proches, organisaient AS et FTP sous les directions de Lungo d’une part, et Rochaix d’autre part. Du côté de l’Armée secrète, tout cela aboutissant à la création du Secteur III bis durant l’été 1943.

Est-ce aussi simple et, quelque part, est-ce aussi tardif ?

Quelques rappels méthodologiques : Muyard n’a jamais témoigné ; la petite voiture qui roulait vite de Lungo a quitté la RN 90 en 1964, avant donc que ne soit venu le temps des récits. Le témoignage de Tournon (Villaret) a de l’intérêt, mais seulement à partir de juin 44, date où il arrive en Tarentaise. Nous n’avons donc que des témoignages fragmentaires (nombreux mais sans qu’une synthèse soit possible) mais, surtout, il y a un accès de plus en plus important aux documents.

Que peut-on dire de nouveau ?

Cela ne l’est pas totalement mais il faut rappeler que l’Armée secrète a été mise en place en Tarentaise dans le sillage de Libération Sud. Donc un rôle important a été tenu par les albertvillois Gaudin et Bertrand. Ce sont eux qui ont contacté en Tarentaise (au sens administratif, c'est-à-dire depuis Feissons-sur-isère en partant du bas de la vallée). Ils ont contacté – avec l’entremise de Fernand Boch – Bardassier et Lungo à Moûtiers, et Muyard, et Lassiaz qui travaillait aux usines de Notre-Dame de Briançon (ce qui donnera naissance à la Compagnie Brochier).

Quand cela s’est-il-fait ? Bertrand évoque l’année 1941 sans vraiment préciser. Tous parlent d’une manière certaine de 1942, mais plutôt du début de cette année.

Donc la gerbe du 11 novembre 1942 ne pleut plus être lue comme un point de départ, mais c’est plutôt un point d’arrivée : les choses sont suffisamment structurées pour oser une visibilité.

Précisons encore que le contact avec Lungo était clair dès le départ : faire de lui le responsable de l’AS en Tarentaise (sans doute sous la forme d’une simple Compagnie tarine dans le Secteur III).

Ce qui bouscule pas mal de choses c’est la lecture des attestations d’un certain nombre de résistants moûtiérains, en particulier ceux qui intègreront le Corps Franc. D’un côté il y a la sizaine bien connue des frères Bardassier (Joseph et Pierre, avec Jean Reymond et d’autres).

De l’autre, il y a … Georges Muyard. On s’est toujours basé sur le témoignage de Joseph Bardassier, en 1947, disant que Muyard n’a jamais appartenu aux réseaux locaux. Bardassier fait un témoignage véridique en fonction de ce qu’il avait comme informations. Et cela prouve qu’aucun de ces acteurs n’avait une information complète. Les attestations le disent bien : c’est Muyard qui était directement à la manœuvre pour mettre en place certaines sizaines. Ce fut le cas de la sizaine de Marcel Martin, "Dio-Dio", qui avait un recruteur principal : Jean Alessio (avec sans doute l’aide de son frère Marcel).

A quelle époque ce réseau travaille-t-il ? Une date revient régulièrement : mars 1942, ce qui fait que les attestations FFI indiquent généralement : avril 1942 – 30 septembre 1944 comme période d’appartenance.

Si l’on résume, l’on peut donc dire que Muyard est entré en résistance dès l’automne 1940. Au cours de l’année 1941, l’axe Albertville – Moûtiers se met en place via Libération Sud et Lungo est donc pressenti pour jouer un rôle particulier. Enfin, ce sont les premiers mois de 1942 qui vont voir l’entrée en Résistance des piliers moûtiérains : Joseph et Pierre Bardassier, Jean Reymond, Marcel Martin, Jean et Marcel Alessio, Paul Roude, Arsène Charrière, Raymond Martinet, Maurice et Francis Laurent, Louis Sibut, Joseph Guillet … en s’excusant de ne pas tous les citer.

Alors pourquoi, après la gerbe du 11 novembre 1942, Muyard envoie-t-il Martin à la recherche d’un chef ? Ne savait-il pas que Lungo avait déjà été pressenti ? Est-il contre ?

Il va de soi que Muyard sait et il va de soi que Muyard a acquiescé au choix de Lungo. Mais il est stratège : Muyard est un stratège qui sait qu’un chef doit être nommé d’en haut à condition d’avoir été choisi d’en bas. Il fait donc un pari : le haut (Libération Sud) a désigné Lungo, la base doit le choisir.

Et ça marche parce qu’il y a un lieu qui va permettre cette rencontre entre le haut et le bas : la fanfare les Tarins. Ce qui a fait la place de cette formation, ce ne sont pas s’abord les sept morts durant la guerre, ni même que 14 jeunes de cette formation musicale sont rentrés en Résistance. Le plus important c’est que Jean Alessio (qui jouait du saxhorn baryton) va dire à Martin, « il y a Lungo (qui jouait du hautbois) et il serait bien qu’on lui pose la question ».

 

Que fait Lungo une fois la question posée ? Il demande à réfléchir ! Il est évident qu’il ne peut pas dire qu’il en est. Et cela prouve que, dans une ville de 3 000 habitants, un résistant n’avait pas forcément conscience du fait que l’autre en était aussi. Fin 1942, grâce à Marcel Martin, à Jean et Marcel Alessio, la décision venue d’en haut était portée par la base et l’organisation AS en Tarentaise a plutôt été une organisation solide.

Cette relecture des choses invite à travailler sur un personnage central : l’abbé Fernand Boch car ce professeur au Petit Séminaire de Saint-Paul sur Isère a été une charnière essentielle entre les albertvillois et la Tarentaise.

Date de dernière mise à jour : 23/12/2023